Mardi 21 juin 2022, il est 9 heures. 36 « Batwa » ou Peuple Autochtone (PA) sont réunis dans une salle à Bugarula, l’un des 3 groupements de la collectivité chefferie de Rubenga, dans la partie nord de l’île d’Idjwi au Sud-Kivu en RDC. Nombreux d’entre eux ont l’air égaré.
« ce premier jour nous étions en effet très préoccupés et anxieux (rires). C’est la toute première fois que nous nous retrouvons femmes et hommes batwa, venus des différents villages et camps, rassemblés dans une salle grande, belle, propre et bien décorée. A part nous, il y avait aussi deux autres hommes dans la salle. On se demandait, qu’est-ce que ces gens nous veulent ? Ce n’est que, lorsque 3 femmes sont venues se joindre à eux, que nous avons été un peu apaisés. Nous nous sommes dit, s’il y a des femmes avec ces hommes, rien de mal ne va nous arriver. Souvent les femmes ne sont pas malveillantes ! », confie mi penaud, mi détendu, Jerkis Bashizi Bunvikane qui vit dans un camp des membres du PA à Bugarula.
Autres objets d’inquiétudes, toujours ce premier jour apprend-on ; les carnets et les stylos posés devant eux sur les tables : « je n’ai jamais appris à écrire, ni à lire. Qu’est-ce que je fais dans cette salle ! » se demandait aussi Sifa M’Civange, qui comme la plupart des membres du PA présents (26 sur 36, soit 8 Femmes et 18 Hommes), allait se servir d’un stylo pour la première fois de sa vie.
« Nous allons parler d’inclusion sociale, nous allons jeter un regard sur l’histoire de votre communauté, comment les PA vivaient. Nous allons ensuite analyser ensemble les conditions de vie actuelles des PA et nous projeter dans 10 ans, 20 ans pour voir quelle sera la situation ou le sort des PA ? Nous allons parler de l’avenir, pas ce qui va arriver, mais ce que vous allez faire pour garantir une vie meilleure à vous-mêmes, à vos enfants et à votre communauté ». Ces premières paroles de Bertin Bisimwa Kabomboro, Spécialiste Genre, Jeunesse et Inclusion sociale au sein du projet Feed the Future RDC, Renforcement des Chaînes de Valeur dit SVC Lima-Faidika, ont rassuré tout de suite les PA, confie Bahati Samunani de la communauté PA de Kishenyi.
En effet, c’est juste pour participer à un atelier de formation sur le genre et l’inclusion sociale que SVC Lima-Faidika, financé par le peuple américain et l’USAID, a réuni à Bugarula des membres du PA d’Idjwi Nord.
Une formation atypique qui dure 4 jours
Cet atelier voulu et demandé par le Mwami Rubenga ainsi que par l’un des représentants de la communauté PA de Cihumba, a plusieurs visées : – faciliter l’intégration des membres du PA au sein de la société ; – Encourager les membres du PA à améliorer leur qualité de vie en élaborant leurs propres visions économiques et sociales, en mettant en œuvre leurs propres initiatives et activités génératrices des revenus,; – Amener les membres du PA à participer dans les dynamiques de développement local par rapport aux enjeux dans la Chefferie de Rubenga et favoriser ainsi la cohabitation pacifique(cohésion sociale) et leur intégration avec la communauté havu avec laquelle ils vivent sur l’île. Des buts qui rejoignent ceux de SVC LIMA-FAIDIKA de promotion des groupes sociaux exclus, défavorisés ou marginalisés pour leur prise en compte dans la société et surtout pour leur intégration dans les chaînes de valeur agricoles, sources de revenus dans plusieurs milieux ruraux au Sud-Kivu.
Le facilitateur utilise à la fois les dessins et beaucoup de vidéos dans son animation : « Pour faciliter les échanges et la compréhension, nous avons fait recours à la méthode d’apprentissage du genre par l’action (Gender Action Learning System (GALS)). Cette méthodologie d’autonomisation et de prise en compte de la dimension de genre dans la société a l’avantage d’avoir des outils catalyseurs de changement qui s’adaptent aux personnes instruites tout comme aux non instruites, car les apprenants réfléchissent, visualisent et ensuite dessinent, discutent, partagent ce qu’ils pensent ou veulent exprimer. Nous leur avons ainsi appris l’outil « route vers la vision » qui apprend de manière simple comment tracer ses objectifs et réaliser sa vision, c’est-à-dire comment réussir, progresser dans la vie même si on n’est pas fortuné. Cet outil fournit également des informations sur les bons comportements sociaux (les habitudes, attitudes et mentalités qu’il faut changer, les relations à transformer). Nous avons renforcé ces enseignements avec des vidéos de réussites des 3 membres du PA et d’autres communautés du Sud-Kivu qui ont déjà suivi ces formations GALS avec SVC Lima-Faidika. L’usage des vidéos a permis de capter l’attention, motiver, inspirer les participants, de créer des discussions et d’illustrer des exemples de changement positifs et des réussites(succès) au sein même de leurs communautés, des gens qu’ils connaissent, qu’ils peuvent rencontrer, côtoyer, prendre comme modèles et imiter», a expliqué Bertin Bisimwa, spécialiste des questions du genre, de la jeunesse et de l’inclusion sociale au sein de SVC Lima-Faidika.
A l’aide des images, des dessins et des séances de réflexion assistées, les membres du PA parviennent chacun à définir, à développer sa propre vision de changement et à fixer des objectifs simples et concrets pour les atteindre avec des ressources disponibles localement.
A l’issu de l’atelier, c’est l’éveil de conscience et peut-être un nouveau départ !
Les participants comprennent que la communauté PA doit prendre des mesures pour se préparer à aller de l’avant. Ils sont conscients que les temps ont changé et qu’ils doivent s’adapter, arrêter de vivre au jour le jour et surtout collaborer et vivre dans l’harmonie avec les autres communautés :
« Nous avons compris, qu’il n’y a plus des forêts pour faire la chasse et la cueillette. La seule option pour que nous vivons en paix avec les autres communautés est que, nous commençons aussi à travailler dur et à produire ce que nous consommons », déclare Kabango Muhaguzi, un membre du PA vénu de Kihumba.
« Avant cette formation, je pensais que je n’avais pas de revenus ou qu’ils étaient insignifiants. Avec les analyses que nous avons faites ici, je me rends compte que je gagne par jour plus qu’un enseignant de l’école primaire et plus que même un agent de l’Etat. Je comprends que je ne suis pas un être inférieur, que moi aussi je suis capable de trouver et de mieux canaliser des ressources, progresser et améliorer ma vie. Je vais désormais commencer à affecter une partie de mon argent à mes besoins quotidiens et épargner une autre partie pour d’abord acheter un champ, ensuite construire une maison et quitter le camp où je vis actuellement avec toute ma famille », s’engage Kasole Ngayi un membre du PA âgé de 30 ans et qui vit à Muchulo.
Et, il n’est pas le seul à avoir comme vision de devenir propriétaire terrien. Pour envisager l’avenir avec sérénité, nombreux PA qui ont participé à cet atelier veulent aussi posséder leurs propres terres, afin d’y vivre et d’y cultiver ce dont ils auraient besoin.
Rédaction